La publicité au Cameroun : pourquoi les musulmans sont-ils invisibles ?

Des affiches qui font tiquer

Je me promène dans les rues de ma ville Douala, nous sommes en fin de période de ramadan, et je vois des affiches de 12 et 18m2 un peu partout dans la ville mettant en scène des musulmans. Et honnêtement je ne sais pas pour vous mais je trouve étrange que la composante musulmane qui représente 35% de la population camerounaise n’apparaisse sur les campagnes des grandes métropoles que pendant le ramadan, et bien sûr à l’Eid el kebir.
Mais pourquoi est-ce toujours ainsi? Plongeons nous le temps d’une minute au cœur d’une mauvaise pratique de communication devenue si courante qu’elle semble presque devenue d’usage dans les calendriers marketing des annonceurs locaux de produits low-costs.

Les marques veulent vendre aux consommateurs musulmans

Ce qui est tout à fait légitime quand on est un acteur de la grande consommation. On veut pousser la cible à remplir toujours un peu plus le panier. Nous sommes en période de fête, ce sont les réjouissances. Ce qui devrait être vrai pour Pâques et la Nativité devrait l’être pour la célébration du Ramadan et la Tabaski. Les marques font mine de créer un lien avec leurs consommateurs en ces temps de célébration, et de se montrer solidaires de leur joie. Tant bien sûr, qu’ils n’oublient pas de remplir le caddie avec les produits qu’on leur brandit devant la chéchia. Seulement quelque chose gêne. Comme précisé plus haut, une personne sur trois au Cameroun est de confession musulmane. Pourquoi sont-ils si peu ou pas représentés dans la communication des annonceurs en dehors des jours de célébration?

Les musulmans posent-ils un problème?

Dit comme ça, on veut déjà me tirer dessus. Et ça peut se comprendre. Mais si on se pose et qu’on y réfléchit deux secondes, on dirait qu’en dehors de la fête du mouton et du ramadan, les musulmans n’existent pas. Ou alors qu’ils ne sont pas la “vraie” cible. Mais qui est la “vraie” cible? Du moins ce qu’ils considèrent comme tel. C’est -à -dire les particuliers dont les obédiences religieuses ne sont pas clairement affichées. En agissant comme si la publicité était laïque, ils renient ce qui fait l’essence même du marché, sa diversité. Elles ne voudraient pas être taxées d’être des marques pro-islam ou orientées religion? Mais non. C’est juste respecter la diversité de ses consommateurs. La communication pour les produits mass market se veut de plus en plus inclusive pour être efficace. En fonction de son segment de marché, il faut que les différentes composantes de ce segment se sentent représentées. Et actuellement, on dirait qu’il n’y a que 2 mois dans l’année où les boubous et les abayas sont autorisés.

Pour créer des liens forts, il faut les construire ensemble

Justement, une des clés en marketing est de créer un lien fort entre sa marque et son public. C’est un lien qui se construit sur la durée. Un lien que la marque tisse à travers un dialogue continu au possible, à travers ses actions de terrain, ses communications médias et ses plateformes connectées à internet. Faites un tour des internets, vous serez surpris de voir que tous attendent les fêtes de l’islam pour se rappeler de la configuration ethno-religieuse de leur audience. Certaines exceptions comme le Crédit du Sahel (vous vous en doutez bien) font figure de bons élèves au moment de représenter la diversité du marché qui est le leur.

Malheureusement le marketing a ceci de vicieux que lorsque les chiffres sont bons, on les questionne moins. Pourtant, suite à une petite étude que j’ai menée sur la question, les musulmans et en grande majorité les jeunes, estiment être sous représentés dans les campagnes de communication, et disent ne pas s’identifier la plupart du temps aux personnes mises en scènes. Et rappelons-le, une personne sur trois au Cameroun pratique l’islam.

Intrusion ou inclusion?

Je ne vais pas ici faire l’apologie d’une communication islamiste, ou d’un marketing orienté vers les musulmans. Non. Mais à l’ère de l’inclusion, ou on parle de la représentativité des femmes à tous les niveaux (une personne sur deux est une femme), cela doit aussi s’appliquer dans ce cas de figure.

Bilan des courses, j’invite mon audience préférée, les brand managers à considérer qu’il est peut-être temps de jeter un regard différent sur la question. Tandis que sous d’autres cieux des quotas sont fixés dans certaines industries pour assurer la représentativité de la population, nous pouvons encore essayer de commencer à la base. Intégrer la diversité dans la communication grand public, ça fait plaisir à tout le monde, c’est aussi cela qui fait que l’on aime le pays. Ça donne de meilleurs résultats sur la durée. En tout cas mieux qu’une affiche placardée à la veille de la fête avec des jeunes filles qui n’ont de musulmanes que le voile au final.

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